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Acoustique biomimétique du corps humain aux structures

Le corps humain a l’art de dissimuler ses propres bruits internes. Dans des conditions normales, nous ne pouvons pas entendre les battements de notre cœur, le flux sanguin ou le grondement du système digestif – ce n’est que dans un silence extrême (dans une chambre anéchoïque spéciale) que l’on peut entendre la « symphonie » de ses propres organes. Comme l’a décrit un testeur, « lorsque vous arrêtez de respirer, vous pouvez entendre les battements de votre cœur et le sang qui coule dans vos veines ». Dans la vie de tous les jours, cependant, ces sons sont efficacement étouffés par des couches de tissu, de graisse et de liquide.

Alors que les tissus mous et les fluides absorbent et dissipent fortement les vibrations, notre cage thoracique et notre crâne forment des coques dures qui réfléchissent et bloquent les sons (en fait, les experts en imagerie par ultrasons notent que les tissus adipeux provoquent une très forte atténuation des ondes sonores). En fait, l' »ingénierie acoustique » du corps empêche les sons internes de devenir une distraction auditive – une sorte d’isolation acoustique intégrée.

Ces stratégies biologiques suggèrent des analogies pour l’architecture : Nous pouvons cacher et amortir les sources de bruit, construire des assemblages de matériaux en couches et séparer la structure de l’espace, tout comme le corps isole les organes de nos oreilles.

Tout comme les organes sont tapissés de cavités remplies de fluides et d’huile, les architectes « cachent » les équipements mécaniques à l’intérieur de chambres ou de conduits traités acoustiquement. Les grosses machines et les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation sont souvent placés dans des planchers mécaniques isolés ou des enceintes insonorisées, et des silencieux ou des atténuateurs sont installés dans les conduits et les tuyaux pour contrôler les vibrations.

De même, la structure multicouche du corps (peau-graisse-muscle-os) inspire des assemblages de parois multicouches: une couche de revêtement, une cavité « graisseuse » isolante et une structure « osseuse » rigide. Les structures masse-ressort-masse avec une isolation entre elles peuvent augmenter de manière significative l’isolation acoustique.

Les réglementations utilisent les indices STC (Sound Transmission Class) pour mesurer cet aspect. Pour améliorer l’indice STC, les assemblages ajoutent généralement de la masse, de l’isolation ou des coupures flexibles entre les couches. Cela revient à ajouter un tissu amortissant entre les éléments rigides. Enfin, le squelette du corps est effectivement séparé des tissus mous par des joints et des remplissages, tout comme les planchers flottants ou les conduits flexibles séparent le squelette structurel d’un bâtiment des surfaces finies.

Les planchers flottants (plaques structurelles reposant sur des coussins flexibles) peuvent réduire considérablement les bruits d’impact du sol en améliorant grandement la perte de transmission. De même, des gaines métalliques flexibles (fines bandes d’ossature) isolent les cloisons sèches des montants, perturbant le trajet direct du son et améliorant l’indice de transmission du son (ITS) des murs. Même un ingénieur du métro utilise la même idée : les paliers de sol flottants (dalles de béton sur ressorts en caoutchouc) brisent efficacement la chaîne de vibrations entre les roues des trains et le sol, « à l’instar des bases inertielles sur ressorts utilisées pour soutenir les machines fixes ».

Analogues architecturaux de l’isolation biologique

  • Cacher les sources de bruit (analogues d’orgues) : Les armoires et les seaux mécaniques agissent comme des cavités corporelles autour de l’équipement. Un four ou une pompe est placé dans une pièce entièrement tapissée de couvertures acoustiques sur les murs et son bruit peut être isolé par l’enceinte (comme un organe à l’intérieur d’un sac de fluide). Des silencieux internes ou des enroulements externes de matériaux insonorisants sont installés dans les conduits pour réduire le bruit des ventilateurs.
  • Cloisons à plusieurs couches (peau-huile-muscle) : La stratégie classique consiste à construire un mur à plusieurs couches: une peau extérieure, une cavité pour l’air et l’isolation et une peau intérieure. Cette dernière reflète la peau (extérieure), la graisse/les muscles (isolation) et les os (structure). Les cavités sont remplies d’un isolant fibreux (par exemple, de la laine minérale) , qui absorbe le son comme un tissu adipeux. L’isolation en laine de roche est réputée pour bloquer et absorber les sons tout en amortissant les vibrations. Ces couches créent un effet masse-ressort-masse : chaque couche dense ajoute de la masse (bloque les basses fréquences) et chaque couche souple ajoute de l’amortissement (absorbe les moyennes/hautes fréquences). Dans la pratique, on utilise des murs isolés à double latte ou des plaques de plâtre à double couche (généralement sur des clips flexibles) pour obtenir des indices STC élevés. L’égalisation des joints et le colmatage des interstices garantissent qu’il n’y a pas de « raccourcis acoustiques » directs, tout comme l’égalisation des canaux de graisse et de tissu empêche les fuites sonores directes.
  • Structure discrète (analogie avec le squelette) : Les os du corps fournissent une structure tout en minimisant la transmission du bruit des mouvements musculaires. De même, dans les bâtiments, nous séparons (isolons) les éléments structurels des espaces occupés. Les planchers flottants sur coussinets en néoprène ou les isolateurs à ressorts réduisent la transmission des vibrations en éliminant le contact direct avec les matériaux durs. Dans les murs ou les plafonds, les gaines flexibles agissent comme de petits ressorts : des plaques de plâtre y sont suspendues, ce qui rompt la liaison rigide avec les montants. Cela « coupe le chemin » des ondes sonores, de sorte que moins d’énergie vibratoire passe à travers. Même dans les constructions lourdes, les isolateurs de sol situés sous toutes les pièces ou équipements agissent comme des joints amortis, empêchant le bruit des machines ou les bruits de pas de secouer l’ensemble de la structure.
  • Zones tampons air/liquide (analogie avec les membranes) : Tout comme les cavités et les membranes remplies d’air dans le corps font office de tampon pour les organes (comme les sinus crâniens ou les cavités pulmonaires), les bâtiments peuvent utiliser des cavités d’air ou des cavités pour protéger le son. La façade à double peau en est un exemple frappant : deux murs vitrés séparés par une cavité ventilée. Ce tampon d’air réduit à la fois la chaleur et le bruit provenant de l’extérieur. Les recherches montrent que l’espace interstitiel à double paroi « agit comme un isolant contre les bruits excessifs et améliore le confort auditif du bâtiment ». À plus petite échelle, même de simples murs en gradins ou en retrait (avec des assises décalées ou des lames d’air) agissent comme des labyrinthes acoustiques, empêchant la transmission du son en ligne droite. Comme une couche fluide qui réfléchit ou absorbe les sons internes, ces cavités piègent ou détournent l’énergie sonore.

Application et exemples

Ces stratégies sont largement utilisées dans la construction. Les planchers flottantssont utilisés dans les studios d’enregistrement où un sous-plancher en plâtre sur des tampons en caoutchouc fournit un plancher « mort » avec une isolation contre les chocs beaucoup plus élevée. Les murs à conduits flexibles sont courants dans les hôtels et les appartements ; un banc d’essai a montré que l’ajout d’une couche de conduits peut augmenter l’indice STC des murs d’environ 5 points.

Pour plus d’explications sur les planchers flottants, vous pouvez consulter cet article : https://auralex.com/blog/sound-isolation-basics-how-to-build-a-floating-floor/

Dans la conception des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, des silencieux de gaine (atténuateurs) remplis d’un média fibreux ou de panneaux micro-perforés sont installés de manière séquentielle, comme le fluide qui amortit le bruit d’un orgue. Les portes et vestibules acoustiques agissent comme des capsules d’articulation ou des sas sonores, créant un espace de transition pour bloquer la transmission directe.

La façade à double peau en est un exemple sophistiqué. Le célèbre 30 St Mary Axe (« Gherkin ») à Londres utilise une double coque ventilée pour stabiliser la température et atténuer les bruits de la rue. La lame d’air, qui peut également être contrôlée mécaniquement, réduit la pénétration des bruits extérieurs, tout comme une cavité sinusale atténue un coup à la tête.

Dans les projets de transport en commun, des rails à dalles flottantes sont utilisés dans les métros du monde entier. En soutenant les rails sur des patins en élastomère, un analogue exact de la suspension d’une base de machine sur des ressorts, les ingénieurs ont réduit de manière significative le bruit transmis par le sol dans les hôpitaux et les écoles avoisinants.

Source: https://www.archdaily.com/922897/how-do-double-skin-facades-work

Dans tous ces cas, les concepteurs gèrent également les voies latérales : chaque entrée est isolée acoustiquement, les boîtiers électriques sont placés en quinconce et les murs latéraux sont remplis d’isolant – imitant ainsi la tendance du corps à diriger le bruit par des voies complexes plutôt que de le transmettre directement. Le modèle source-path-récepteur en acoustique (insonorisation à la source, ralentissement en cours de route, puis absorption au niveau du récepteur) représente le même principe qu’un système nerveux filtrant ses propres bruits.

Conseils pour les bâtiments bruyants

Pour les architectes et les ingénieurs qui travaillent sur des typologies bruyantes (logements denses, hôpitaux, écoles, centres de transit), ces idées biomimétiques guident les choix pratiques :

  • Localiser et enfermer les sources : placer les équipements bruyants (générateurs, chaudières, cuisines) dans des espaces dédiés et fermés. Utilisez des plénums acoustiques pour les conduits et placez les pièces bruyantes à l’écart des zones calmes (imaginez un cœur enfoncé dans la poitrine, à l’écart des poumons sensibles).
  • Superposez les cloisons : Spécifier des assemblages de murs et de planchers avec une masse et une isolation supplémentaires. Les hôpitaux exigent généralement des degrés minimum de séparation – les directives de l’IGF exigent au moins 45 STC (50 STC pour une grande intimité) entre les chambres des patients. Pour atteindre ces valeurs, il faut généralement des murs en béton d’un étage à l’autre, avec une isolation de la cavité et une double couche de plâtre (STC élevé). Dans les appartements, l’ajout d’une deuxième rangée de montants ou de clips flexibles sont des solutions pour éviter que les bruits de pas ne soient entendus de l’étage supérieur.
  • Découpler la structure : Utilisez des revêtements de sol flottants (béton sur coussinets en néoprène) dans les salles de sport, les bibliothèques ou les chambres situées au-dessus des zones bruyantes. Accrocher des suspensions flexibles dans les couloirs pour isoler les plafonds des étages de service situés au-dessus. Les installations sanitaires peuvent être montées sur des supports d’isolation. Ces mesures imitent la façon dont les articulations permettent au corps de bouger en empêchant les os de s’entrechoquer.
  • Tamponner avec de l’air et de l’absorption : Inclure des espaces d’air et des volumes absorbants dans la mesure du possible. Dans les cours ou les atriums adjacents aux routes, utiliser des plantations épaisses ou des plans d’eau (aménagement paysager absorbant le son) comme membranes acoustiques. À l’intérieur des écoles, utilisez des plafonds acoustiques et des panneaux muraux (généralement en laine minérale ou en mousse) pour absorber les bruits réverbérés. Ces matériaux, comme les tissus adipeux dans le corps, absorbent les échos et piègent les bruits aériens.
  • Étanchéité et décalage : Remplir soigneusement les espaces, sceller acoustiquement les joints sol-mur et concevoir une géométrie décalée. Un « vestibule acoustique » placé entre le couloir et la salle de classe – semblable à une capsule articulaire ou à un tympan – empêche les fuites sonores directes. De même, dans les hôpitaux, des salles de bains ou des placards sont placés entre les chambres pour amortir le bruit entre les chambres.

Les architectes devraient considérer les bâtiments comme des organismes vivants – avec différentes couches, des cavités protectrices et des organes isolés – afin de créer des intérieurs calmes et confortables. Des hôpitaux calmes aident les patients à se rétablir, l’acoustique d’une salle de classe bien conçue améliore l’apprentissage et la concentration, et des habitations calmes et paisibles améliorent le bien-être des occupants. Comme le confirme la recherche, « le bruit peut affecter le traitement cognitif, la santé mentale et la motivation« .

En bref, l’application du silence interne du corps aux bâtiments n’est pas seulement un processus d’isolation du son. Elle améliore la clarté et le confort de l’espace de vie.

Référence:

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